Depuis quelque temps, tout le monde parle de ce roman illustré de Cyril Pedrosa. Certains crient même au génie. Je me suis dit que je ne pouvais pas passer à côté de cette oeuvre et, par la même occasion, de vous donner mon opinion sur celle-ci.
Cet album raconte l’histoire d’une petite famille paysanne qui vit isolée des autres villageois, et qui voit sa quiétude bouleversée par l’arrivée dans les environs de trois mystérieux cavaliers fantomatiques insaisissables; les trois ombres. Refusant de laisser ces ombres apporter leur fils unique, le père fuit par la mer. Il croyait bien pouvoir les semer, mais la réalité le rattrapera rapidement.
Cyril Pedrosa maitrise les méthodes qui permettent de passer les émotions dans ses illustrations. Dès le début du récit, nous ressentons intensément que le bonheur de la famille, qui semble inébranlable, est mis en péril. Les événements font monter la tension chez le lecteur. C’est à certains moments un véritable suspense. Nous ne savons pas s’il faut vraiment craindre ces ombres et nous avons hâte de connaitre leurs intentions. Mais au bout d’un moment, nous comprenons que ces spectres sont en fait les exécutants de la mort et qu’elles sont là pour prendre leur fils.
Ce roman me semble être une allégorie du processus de deuil face à la perte d’un proche. J’ai cherché rapidement dans l’internet et j’ai trouvé ces sept étapes : le choc, le déni, la colère, la tristesse, la résignation, l’acceptation, la reconstruction. Nous les retrouvons tous à différents degrés dans le récit. Comment ne pas être touché par un livre qui parle de la mort d’un enfant? Je ne peux pas m’identifier vraiment personnellement à cette histoire, mais j’ai quand même été attendri. L’auteur sait comment provoquer des émotions chez le lecteur.
Le rythme est bon, l’histoire nous prend et il est impossible de déposer cet ouvrage avant d’avoir lu la dernière page. J’ai par contre trouvé qu’il y avait une petite longueur lorsque l’action se déroule sur le bateau, mais ce n’est rien pour nuire à la lecture. Dans les deux premiers tiers du roman, si nous faisons abstraction des ombres, le récit est ancrée dans le réalisme. Mais dans la troisième partie l’histoire tombe dans le fantastique avec la rencontre d’un sorcier qui lui proposera un marché. Le père se transforme en géant pour refaire le trajet inverse. C’est savoureux, plein d’imagination.
Les illustrations sont d’un genre alternatif, tout en rondeur, un peu brouillonnes. Les personnages sont caricaturaux, teintés de réalisme. J’ai l’impression de lire le premier jet crayonné de l’artiste. C’est très beau dans son imperfection. Il faut souligner l’immense travail que représente la réalisation en solo d’un tel pavé. Deux cent soixante-huit pages scénarisées et dessinées par un seul homme c’est tout un exploit en soi.
Cette longueur a pour avantage de lui donner toute la latitude pour développer des histoires parallèles avec des personnages secondaires plus travaillés et plus complets que dans un récit plus court.
Sans crier au génie à mon tour, il faut que j’admette que ce roman illustré est très bien réalisé. Je m’imagine facilement, par une glaciale soirée d’hiver de tempête, m’assoir dans mon fauteuil le plus confortable, m’enrouler dans une doudou chaude et moelleuse, et devant un bon feu d’éthanol relire cette oeuvre tout en écoutant le vent heurter les fenêtres, essayant de lire par-dessus mon épaule cette histoire qui est, après tout, un peu mélancolique, et malgré tout réconfortante.
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